Lorna Crozier – The Wild in You: Poèmes
Nicole Laurendeau
Wolves
The wild in you has gone out
to meet the wolves who are hunting
on the other shore. You can’t see
this wayward part of you
like you see your breath in winter,
but you feel the bite of canine teeth
as if you now live
in the throat of a panicked deer.
You’ve never understood before
what beauty means, how it
blasts the blood and leaves you
shaken, demanding more
than you can ever,
in this human body, be.
Loups
Ta bête secrète a filé
rejoindre les loups qui chassent
sur l’autre rive. Tu ne distingues pas
ce toi indompté
pouls qui s’accélère
désir étrange qui te possède
pulse quickening
lusting hunger rising
aussi nettement que ton souffle en hiver,
mais tu sais la puissance des canines
comme si tu te retrouvais
dans la gorge du chevreuil terrifié.
la peur panique
chair déchirée, veines drainées,
la vie qui s’éteint lentement
staggering fear
flesh ripped, blood sucked,
life slowly leaking out
Jamais encore n’avais-tu saisi
ce qu’est la beauté, comment elle
fait jaillir le sang et te laisse
abasourdi, en soif de plus
vertige de la plénitude
désir pourtant inassouvi
dizzy with satiety
forever longing
que ce que tu ne pourras jamais,
dans ton corps d’humain, connaître.
devenir autre vie…
laisser ce corps d’humain
ce poids inutile, loin derrière
to become other life…
to leave that human body
that useless weight, behind
Water
Cliffs along the estuary,
dry an hour before, are striped
with long white threads
as if a spider spinning a water web
drops a string from the top
to the sea below, then scurries up,
drops another line and one again.
Steeped in rain, bats take on
colors like a sea-licked stone.
Some turn into starfish, five arms
fastening onto rocks below the tide.
The ocean and the sky shake hands,
collaborate to make the world
liquescent. As you dive down,
your lungs expand. How you love
the webbing between your toes,
your thicker skin, the beam
shooting from your forehead
powered by your radiant cetacean brain.
Eau
Les falaises bordant l’estuaire,
sèches l’heure d’avant, sont striées
de longues fibres blanches
de la falaise, tu les surplombes
pieds au bord du gouffre
hypnotisé
from one of those cliffs, you peer down on them
feet close to the edge
hypnotized
comme si l’araignée tissant sa toile d’eau
lançait d’en haut un fil
à la mer, puis remontait en hâte
en jeter un autre, puis un autre encore.
comme ces fils t’appellent
comme ton poids
te tire vers le bas
you let those lines call you
you feel your weight
dragging you down
Trempées de pluie, les chauves-souris prennent
les couleurs de la pierre léchée d’eau salée.
Chauve-souris, le pont
chez les Hopis
entre la vie et la mort
Bat being the bridge
for Hopi People
between life and death
Certaines deviennent étoiles de mer, cinq bras,
fixées aux pierres sous la marée.
tu ouvres les bras
tu fermes les yeux
te détaches de ta pierre
you open your arms
you close your eyes
you unfasten from your rock
L’océan et le ciel se serrent la main,
s’associent pour rendre le monde
liquide. Tu plonges en profondeur et
plus bas
plus loin
de plus en plus profond
down
down
deeper and deeper down
tes poumons se gonflent. Comme tu aimes
sentir tes orteils se palmer,
la déesse Innu Sedna
a-t-elle connu cette joie
en cédant à sa nouvelle forme?
did the Innu goddess Sedna
feel the same way
diving into her new form?
ta peau s’épaissir, le rai lumineux
jaillir de ton front,
issu de ton cerveau radiant de cétacé.
lumière et liberté, enfin
freedom and light at last
Dividing Lines
Here the membrane
between this and that
is thinner than a cat’s
third eyelid, thinner than
a crane fly’s wings.
At the edges, days and seasons blur–
watercolors blending on a page.
Rain erases the distinction
between brightness and the dark,
the ocean and the sky, a humpback
and the smallness you’ve become.
Like a hook baited with an egg,
birth catches death: salmon
traveling to their spawning beds
and their grimly beautiful decay.
Cloisons
Ici, la membrane
entre ceci et ça
est plus fine encore que
la troisième paupière du chat, plus fine
que l’aile d’une tipule.
quel monde étranger et magnifique
où te trouves-tu donc
how strange and beautiful
this new world is
Aux confins, jours et saisons s’estompent –
aquarelles se mêlant sur la page.
sans marque de temps ni de lieu
te voilà toi-même sans forme
not knowing place nor time any more
feeling that you are that blur
La pluie atténue les contrastes
entre lumière et la nuit,
entre ciel et océan, entre la baleine
et l’infime que tu es devenu.
petit si petit
ion nageant dans ce monde salin
flottant en apesanteur, en complète solitude
small so small
an ion flowing through this salty world
floating weightless and incredibly lonely
Tel l’hameçon ayant l’œuf pour appât,
la naissance capture la mort :
danse mystérieuse de la vie
insondable destinée
mysterious dance of life
unfathomable destiny
le saumon
se hâtant vers les frayères
vers sa tragique mais sublime putrescence.
Who Watches Over You
Sea lions gather above you,
as nosey and dispassionate as angels
who catch sight of your tasks
small and far below
before they soar to a place more troubling
than where you are, at least for now.
Underwater, angels don’t need feathers;
they don’t need choirs or saints.
The sea lions, too, get by without them.
Ocean-thick, minus legs and wings,
they dive, climb, and wheel around you
as if, indeed, they are your keepers,
so close their whiskers graze your face.
Qui t’observe d’en haut
Les lions de mer se massent au-dessus de toi,
curieux mais détachés tels des anges
prenant note de tes tâches
voici donc le jugement dernier?
so this is last judgment?
infimes, si loin sous eux
avant de s’élancer vers un lieu plus affolant
que là où tu es, du moins pour l’instant.
Délivrance — tes fautes sont pardonnées
relief– no condemnation for your sins
Sous la mer, les anges se passent de plumes;
ils se passent de chorales ou de saints.
Les lions de mer s’en passent également.
liquide, silencieux
leur chant subtil
a avalé ton souffle
silent and liquid
their humming
has swallowed your breath
Charnus d’océan, sans pattes ni ailes,
ils plongent, remontent, et tournoient autour de toi
comme si, de fait, ils étaient tes gardiens,
grâce infinie
amazing grace
si près que leurs moustaches frôlent ton visage.
Gone Under
Among the fish you feel clumsy,
somnambulant, someone fallen,
perhaps from grace. You could beg
for mercy but who’s to listen,
and anyway, more easily than
up above, the sea swings open
its pearly gates, no matter
what your sins or lack of them.
Baffled, gone under, you’ve been
hallowed with a halibut’s
uncanny second sight,
its left eye having slid
to the same side as the right.
Submergé
Entre les poissons tu te sens gauche,
un somnambule, un être tombé,
en disgrâce, sans doute.
la lourdeur de ton corps
gorgé de liquide
t’entraîne-t-elle toujours plus bas?
the weight of your body
bloated with liquid
will it forever drag you down
Tu implorerais
la pitié mais qui peut t’entendre,
dans cet univers insonore et serein
jadis espoir de repos
in this soundless and peaceful world
once your hope for relief
et puis, plus aisément encore
que là-haut, la mer t’ouvre
ses portails perlés, peu importe
tes fautes ou encore leur absence.
tu planes au cœur d’une parfaite indifférence
en éternelle dérive
au-dessus de l’immensité sablée
drifting into perfect indifference
forever gliding
above sandy vastness
Confus, submergé, tu te retrouves
béni d’une seconde vision
étrange, celle du flétan,
son œil gauche ayant glissé
du même côté que son œil droit.
Herring
All the stars are fish.
All the light that once seduced your eyes
sits in the bellies of these fish.
From your bed you watch them float
high above where the ceiling should be.
They glide below where your feet
every morning touch the floor.
The door to your room is a blur of fish.
If you could reach it, you’d leave it closed
for fear of what might enter. Orcas, wolf
eels, sharks, the net of a drifter dropped
into a dream. The herring all around you
never touch, bump or falter:
one mind, merciless and lean,
pulls them forward, to the left, the right;
you, too, caught before you waken
in its slippery grip.
Hareng
Toute étoile est poisson.
tu le vois bien maintenant
you can really see it now
La lumière qui jadis délectait ton œil
émane du ventre des poissons.
comme ils scintillent
comme toute vie scintille
depuis que la tienne a disparu
how they glow
how all life glows
now that yours is gone
De ton lit tu les vois flotter
bien au-delà d’où devrait être le plafond.
ce toit liquide, là, tout en haut
t’es-tu d’ailleurs jamais senti chez toi
où que ce soit?
liquid roof above your head
have you ever been home
anywhere anyway?
Ils glissent sous l’endroit où chaque matin
tes pieds touchent le sol.
rappelle-toi la douleur
de quitter tes rêves
pour affronter le jour
you recall the pain it was
to leave the dream world
and face the day
La porte de ta chambre est un flou de poissons.
lestes et colorés
coordonnés et gracieux
wild and colorful
synchronized and graceful
Si tu pouvais l’atteindre, tu la laisserais fermée
de peur de ce qui pourrait entrer. Orques, loups
ocellés, requins, le filet d’un harenguier jeté
à même un rêve.
pour interrompre
la grande quiétude, l’ultime solitude
interrupting
the great quiet, the ultimate solitude
Les harengs autour de toi
jamais ne se touchent, ne se heurtent ni n’hésitent :
un seul esprit, fin et sans pitié,
que cet esprit te guide
qu’il t’aspire dans cette unité
may it move you
may you fade into this oneness
les propulse à l’avant, à gauche, à droite;
et toi de même, capturé avant le réveil
dans sa poigne glissante.
Winter
Water knows before you do
the coming of winter.
It starts to cool, hugs itself,
holds its breath. Feels
each cell turning crystal
as a larvae feels, under its skin,
the tremor of wings. Water’s
ability to flow over stones
stalls. Like a dancer cursed,
frozen into place, it petrifies,
becomes a fierce, immobile
beauty that breaks.
Hiver
L’eau devine bien avant toi
l’arrivée de l’hiver.
l’eau connaît bien
les ruses de la mort
water shows
the way of deat
Elle refroidit, s’enlace,
retient son souffle. Voit
chacune de ses cellules devenir cristal
les tiennes maintenant éclatées
rivière de cristaux dispersés
yours have now burst
tiny crystals spilled ove
comme la larve sent, sous sa peau fine,
le palpitement des ailes. L’eau
qui sait pourtant contourner les pierres
se paralyse.
ton corps, celui d’une pierre
your own body a stone
Tel un danseur maudit,
gelé sur place, elle se pétrifie,
en une redoutable, immobile
beauté qui se rompt.
ton mal désormais disparu
abandonne-toi
et deviens cette beauté
all pain gone
surrender
and be that beauty
A Winter’s Sleep
So much sleeping
in this place. Think of all
that lies beneath the snow, lake trout
below the ice, bears in their dens,
their warm snores drifting above
the tree tops that are sleeping, too,
high above your own long sleep.
Even raven, with so much
to say and do, closes his eyes,
tucks his beak under his wing
and sinks into the season’s
dream-rich dark where all
his stories start.
Sommeil d’hiver
Un si profond sommeil
en ces lieux.
dormir, dormir pour toujours
ce qui est en haut
comme ce qui est en bas
sleeping, forever sleeping
as above
so below
Pense à tout
ce qui repose sous la neige,
amis silencieux
compagnons de rêves
silent friends
sleep companions
truite de lac
sous la glace, ours dans sa tanière,
son doux ronflement s’élevant au-dessus
de la cime des arbres qui dorment, eux aussi,
bien au-delà de ton propre long sommeil.
deviens l’arbre
enfonce tes racines
étire-toi vers le ciel
become the tree
root down deep
touch the sky
Même corbeau, qui a tant
à dire et faire, ferme les yeux,
enfouit son bec sous l’aile
et coule dans la noirceur
hivernale peuplée de rêves où
ses contes voient le jour.
corbeau, corbeau
rêve-moi à nouveau
fais-moi une autre histoire
laisse-moi monter sur ton aile
raven, raven
dream me up
make me a new story
let me ride on your wing
Northern Gateway
Once there was a mourning song
a singer sang for four days
staring out to sea. That song is lost.
Everyone born here, every old one,
every spirit the salmon feeds,
every man inside a bear, inside a whale,
inside the throat of frog and eagle,
every woman whose chopped hair
tossed into the sea, grew into eel grass,
whose wrist and ankle bones
became the pebbles
waves rattle on the shore, every child
raised by wolves, by mother cedars,
by sea lions in undertows of grief–
these are the ones called upon
to sing a lamentation that will not cease.
You don’t want to hear that song.
Portail du Nord
Jadis fut un chant funèbre
qu’une voix reprit durant quatre jours
tournée vers la mer.
en est-il un pour toi?
se souvient-on même de toi?
is there one for you?
does anyone even remember you?
Ce chant est perdu.
Tous ceux nés ici, chaque Ancien,
chaque esprit nourri du saumon,
chaque homme dans l’ours, dans la baleine,
dans la gorge de la grenouille et de l’aigle,
tu es cet homme
affolé, chevreuil traqué
toi, hurlant avec les loups
you are that man
frightened, a stalked deer
you, howling with the wolf
chaque femme dont les cheveux coupés
et jetés au large, devinrent mousse de mer,
tel Sedna, faite déesse
et veillant sur les êtres marins
just like Sedna, now goddess
watching over ocean beings
dont les os des poignets et des chevilles
se changèrent en galets
leur doux éclat
tes étoiles dans le noir
glowing softly
your stars in the darkness
roulés par la vague au rivage, chaque enfant
élevé par les loups, par nos mères les cèdres,
par les lions de mer aux contre-courants du chagrin —
les restes de ton cœur
se gonflent soudain de regret
the remains of your heart
swollen with sorrow now
ce sont tous ceux-là qu’on appelle
à reprendre une complainte qui ne finit jamais.
N’écoute surtout pas ce chant.
mais tu l’entends pourtant
te rappelant à la chaleur de la vie
but you do hear it
calling you back to taste the warmth of life
A Good Place
A forest draped
with moss and mist–
a softness,
a quietude–
a good place to send the soul.
Un lieu parfait
Une forêt drapée
de mousse et de brume —
une douceur,
une quiétude —
le lieu parfait où déposer son âme.
un lieu parfait pour l’éternité
où être l’arbre
être le hibou
être l’étoile du matin
a good place to forever be
alive through the tree
alive through the owl
alive through the morning star
Entre deux mondes
Commenter la traduction de poèmes d’une écrivaine du calibre de Lorna Crozier m’a d’abord paru une tâche impossible. Déjà, tenter de rendre les couleurs, les subtilités et la profondeur de ses images m’a demandé beaucoup de courage, car les poèmes remuaient en moi quelque chose d’indéfinissable, et il m’importait avant tout de leur rendre justice.
En analysant ce trouble que la lecture des poèmes originaux avait suscité, j’ai mieux compris. Le recueil d’où sont tirés les extraits est né d’une collaboration de la poète avec le photographe sous-marin Ian McAllister, dont les superbes photos ont inspiré chacun des poèmes. Les références à l’étrangeté de la vie sous-marine évoquaient pour moi le passage dans l’autre monde, celui de la mort et de l’après-mort. Je me suis donc abandonnée à ces impressions en regroupant dix des poèmes de l’œuvre et en les plaçant dans un ordre qui évoque une avancée dans deux mondes mystérieux dont les frontières ne sont sans doute pas si étanches.
Between Two Worlds
The task of commenting on the translation of a poet as renowned as Lorna Crozier first appeared impossible. It had already taken me a lot of courage to attempt capturing the colours, the subtleties and the depth of the images, as the poems were stirring something indefinable in me, and I wanted above all to do them justice.
When I analyzed the inner turmoil felt while reading the poems, I started to understand. The collection of poems had resulted from a collaboration with the underwater photographer Ian McAllister, and the breath-taking photos had inspired each one of the poems. The reference to the strangeness of the undersea life was evocative of the passage into the other world, that of death and after death. I decided to surrender to these emotions and selected ten of the poems, putting them in an order that symbolizes the journey into two worlds of which borders are not so clearly defined.