Trois poèmes
Traduction de Myriam Legault-Beauregard
De curieuses formes dans les champs agricoles
J’y reviens sans cesse, aux melons
peau crevassée et vignes piquantes.
Le soir s’installe, violet et gris.
Je marche entre les rangs, soulève le fruit,
le fais tourner pour voir s’il se laisse cueillir –
près de la grosse caisse de bois
tu te tiens prête à attraper ceux qu’on te lance
ronds et durs et délicats
lourds comme quelque chose qu’on tire
du fond du lac
(algues qui s’entortillent
longs membres de filles).
Quand tu tires
le couteau de sous le siège du tracteur et tranches
un petit melon avec cette grande lame, quand nous goûtons
le musc du soleil, de la terre et de l’eau,
éléments qui créent ces curiosités — qui nous créent,
nous–
le jus
te coule le long des bras jusqu’aux coudes
et je me souviens de l’île où nous avons accosté jadis —
le lac d’un bleu foncé lumineux derrière nous –
l’ascension au-delà des violettes jaunes, de la vesce mauve,
jusqu’à un endroit connu de nous seules.
Allongées au creux des herbes. Moindres,
nous sommes amoindries
par ce qui n’a pas été choisi.
Les matins bleus près de Millgrove
J’y reviens sans cesse, aux carottes
leurs échines sous-terraines et secrètes
ton dos penché, la matinée sur nous, basse et bleue
Nos doigts dans la verdure, de plus en plus adroits
le bruit en surface de chaque racine qui se libère
Voix d’oiseaux
Je chante deux notes et tu reconnais la chanson
La terre sous mes genoux
une évidence, après l’attente
Les boisseaux s’emplissent, de minces formes orangées
s’y glissent, parfois la proximité
les a fait se recourber
des corps assoupis sur le côté
Les tomates, vers midi
J’y reviens sans cesse, aux tomates
leur lourdeur gorgée de soleil
Brandywine, Black Crimson.
Aucune hésitation
dans ces noms, elles pèsent lourd
sur nos épaules dans des paniers de vingt livres,
aucune cachette
pour les tomates braves. Mes doigts
virent au vert, puis au noir,
mes genoux raides comme un vieil accordéon. Tu es là, devant –
et en regardant tes épaules rosées,
je voudrais juste dire Je suis amoureuse de toi
et en finir
mais si je le disais
il se pourrait que les tomates noircissent,
flétrissent et se ratatinent d’un seul coup.
Quand les paniers seront pleins,
nous les traînerons jusqu’au bord du champ,
le tracteur brimbalant les ramassera
et nous passerons à l’innocence orangée
des tomates cerises (Sun-Boys) ;
la terre entre les rangs,
par les fruits ensanglantée.
Three poems
Jessica Moore
Strange forms in farmers’ fields
It is the melons I keep returning to
rutted skin and prickled vines.
Evening settles, violet and grey.
I step between rows, lifting the fruit,
twisting it to see if it will give –
beside the wide wooden bin
you stand ready to catch them as they are tossed
round and hard and delicate
with a weight like something pulled from
the lake bottom
(lake grass twining together
long girls’ limbs).
When you pull
the knife from behind the tractor seat and slice
one small melon with its great blade, and we taste
the musk of sun and earth and water,
elements that make these aliens – and now,
us –
the juice
slides along your arms to your elbows
and I remember the island where we once docked –
brilliant dark blue lake behind us –
climbing up past yellow violets, purple vetch,
into a place all our own.
We lay deep in the grasses. Lessened,
we are made less
by what was left unchosen.
Blue mornings near Millgrove
It is the carrots I keep returning to
secret spines of them underground
your back bent, the morning on us low and blue
Our fingers in the greens growing deft
shallow sound as each root pulls free
Voices of birds
I sing two notes and you know the song
Earth beneath my knees
a given, longed for
Bushels fill, slim orange bodies
sliding in, some grown so close
they curve
sleeping forms on their sides
At the height of day, the tomatoes
It’s the tomatoes I keep returning to
sun-heavy weight of them
Brandywine, Black Crimson.
There is no hesitancy
in these names, pulling
down on our shoulders in twenty pound baskets,
no hiding
for the brave tomatoes. My fingers
go green and then black,
knees stiff like an old accordion. You’re up ahead –
looking at your rosy shoulders
I’d like to just say I’m in love with you
and be done
but if I did
the tomatoes might blacken,
shrivel and wither all at once.
When the baskets are full
we’ll haul them to the edges of the field,
the tractor will trundle round to gather them
and we’ll move on to the orange innocence
of the cherry tomatoes (Sun-Boys);
earth between these rows
bloody with blighted fruits.
Myriam Legault-Beauregard est titulaire d’un baccalauréat en traduction et en rédaction ainsi que d’une maîtrise en études langagières. Elle travaille comme traductrice professionnelle dans la région d’Ottawa-Gatineau. Ses traductions de poèmes ont été publiées dans les revues K1N et Reunion: The Dallas Review.
Jessica Moore is an award-winning poet and translator. Her first collection, Everything, now (Brick Books 2012), is also a conversation with her translation of Turkana Boy by Jean-François Beauchemin. Jessica’s forthcoming poetic work, touching on ecological disasters and the affaire of the École en bateau, is called The Whole Singing Ocean (Nightwood 2020).